Plus près des étoiles

Quand on a 16 ans on est loin de saisir toute l’importance d’un instant unique que l’on vit au présent. Ce n’est qu’avec le recul et l’expérience (la sagesse aussi ?) qu’on réalise avoir vécu quelque chose d’exceptionnel, qui restera gravé à jamais dans votre mémoire mais que hélas vous ne pourrez jamais relater aussi fidèlement à vos connaissances.

En 1976, je fréquentais le lycée St joseph à Avignon en 2nde C . Parmi mes collègues de classe, certains comme moi passionnés de moto, je remarque un jour que l’un d’entre eux avait un porte clefs dans lequel figuraient deux petites photos d’Alain Prieur et la mention de son record de l’époque 64,60 m (un saut de 16 bus côte à côte).

Je connaissais bien sûr Alain Prieur de réputation, je lisais les comptes rendus de ses exploits dans Moto journal et Moto revue que j’achetais depuis mes 13 ans.

J’interroge mon collègue pour lui demander les raisons de la présence de cette photo dans ce porte clef et il me répond : « c’est mon demi frère ».

Passé la surprise et le doute, il a bien fallu me rendre à l’évidence, mon collègue ne mentait pas, il était «bel et bien » le demi frère d’Alain Prieur.

J’ai du lui poser un tas de questions auxquelles il a répondu de bonne grâce. Et de temps en temps, au fil des semaines, je lui demandais des nouvelles de son frère qu’il me donnait très sympathiquement.

Un jour, s’étant sans doute rendu compte que j’étais un passionné des deux roues et comme nous étions amis, il vient me voir et m’annonce qu’un autre collègue de classe et moi sommes invités chez lui, à Forcalquier pour une journée brochette ou méchoui, je ne sais plus.

Il ajoute que ce jour là se trouvera son frère ainsi que des importateurs motos ou quelque chose comme ça.

Bien sûr, j’étais très content d’être invité et le jour dit, nous nous sommes présentés à la maison de la famille Prieur à la sortie de Forcalquier.

Nous avons été accueillis par les parents de mon collègue. Se trouvaient là des personnes qui gravitaient dans le monde la moto (peut être l’importateur Maico ou KTM, je ne sais plus…), et sûrement des gens comme René Latil son ami de toujours.

Alain est arrivé quelques minutes plus tard en pilotant un 750 XS bleu. J’étais plutôt intimidé, mais il nous a accueilli très sympathiquement.

Nous avons mangé, puis dans l’après midi, Alain et ses amis se sont mis à faire du tir au 22 long rifle sur des canettes vides dans le champ jouxtant la maison. Ils nous ont bien entendu prêté leurs jouets. C’était très sympa de côtoyer quelqu’un de célèbre comme ça et de participer avec eux.

Plus tard, dans l’après midi, Alain a sorti un projeteur super 8 et nous a projeté les films de ses sauts, dont le dernier en date : les 16 bus à Monthlery : 64.60 m avec à la clef une gamelle à la réception, la moto sous l’influence du vent et du garde boue en position haute, s’étant trop cabrée. La réception s’était passée à la fin du tremplin de réception, moto à la verticale et Alain qui finit à l’hôpital les vertèbres tassées ou fêlées.

Nous avons vu aussi les films de ses premiers sauts à Sausset les pins. Une folie reconnaissait-il, dans une rue bordée d’arbres où la moindre déviation de trajectoire aurait eu des conséquences dramatiques.

D’autres films aussi, tournés aux états unis, où il avait participé à un concours de précision avec d’autres cascadeurs (peut être Evel Knievel). Ses sauts dans le verdon…

En fin de journée, nous sommes repartis après avoir remercié mon collègue pour cette journée particulièrement réussie.

Puis le temps est passé, j’ai quitté St joseph au bout de cette année de seconde pour cause de résultats catastrophiques. Je n’ai plus revu le demi frère d’Alain Prieur, j’ai même oublié son nom. Je ne sais même pas si je pourrais retrouver la maison de cette journée champêtre.

Mais jamais, jamais je n’ai oublié Alain Prieur, cascadeur et grand sauteur à moto devant l’éternel.

Quand on parlait de lui à la télé, je demandais le silence à mon entourage. Ce saut de 84,30 m à Grenoble le 9 octobre 1988…

Je savais qu’ Alain s’était lancé des défis en parachutisme. Il sautait sans parachute et se faisait remettre un parachute en pleine chute libre par son coéquipier qui sautait derrière lui.

Je me souviens de son dernier saut le 4 juin 1991… les infos à la télé… sa mère qui hurle en cherchant le corps de son fils tombé dans un champ sans avoir pu attraper le parachute de son équipier. Son dernier saut lui avait-il promis…

Alain était quelqu’un qui brûlait la vie par les deux bouts. Il voulait la « vivre » intensément. Au cours de cette journée il s’était montré accueillant, plein d’humour, aimant la vie, passionné. C’était quelqu’un de vrai, fidèle en amitié, pour qui la parole donnée vaut contrat définitif.

Dans le film Blade Runner, quand le répliquant reproche à son créateur de ne lui avoir donné qu’une espérance de vie de 4 ans, ce dernier lui répond : « quand une étoile brille deux fois plus fort, elle brille deux fois moins longtemps ».

Alain a brillé plus fort que nous tous, levez les yeux un soir, il est là.

Merci

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